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Adriano Oliva OP Hommage... Paris, 4 décembre 2010 | |
Paris, samedi 4 décembre 2010, "Journée Thomas d’Aquin". SAULCHOIR, salle "Dumont", Centre ISTINA, 45 rue de la Glacière - 75013 Paris: Ruedi Imbach - Adriano Oliva, «Libros volvo multum lego / me, ut possum, mente rego» (Rémy des Girolami). Hommage au Père Emilio Panella O.P., historien de l'Ordre dominicain et du thomisme médiéval. |
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Absent pour raisons de santé. Nous saluons le Directeur de MD, le P. Luciano Cinelli, qui représente ici le Fr. Emilio ainsi que la communauté de Santa Maria Novella de Florence.
«Verità della leggenda».
Ces mots glosent une sympathique légende qui circule au pays natal de Giovanni Panella (en religion Frère Emilio), selon laquelle son père, Emilio Panella, lui aurait envoyé une jolie fille avant qu’il ne prenne les ordres, pour le faire retourner au village natal, Luco dei Marsi, et poursuivre le métier de son père: berger de brebis, «pecoraro».
Le Fr. Panella reconnaît que son père a contrarié sa vocation religieuse, mais en lui offrant plutôt une moto qu’une jolie fille. Je me permets d’évoquer cette légende non pour établir un parallèle avec la vie de Thomas d’Aquin, mais pour citer le commentaire du Fr. Emilio à ce propos:
«Le récit possède sa vérité. Il représente sur scène un sentiment. Le propos tisse la narration. Dès des anciennes mémoires collectives la femme n’est-elle pas la tentation persistante de l’homme d’église? Dans la tentative extrême d’obtenir à nouveau son fils, le parent s’allie avec l’extrême irrésistible tentation. Depuis des décennies le consensus a ratifié l’authenticité du récit et en a établit la propriété publique. Dans la légende, la vérité des faits consiste dans la vérité du récit (Il racconto possiede la sua verità. Mette in scena un sentimento. L'intento tesse la narrazione. Da antiche collettive memorie la donna non è la persistente insidia dell'uomo di chiesa? Nell'estremo tentativo di riavere il figlio per sé, il genitore si allea con l'estrema irresistibile insidia. Da decenni il consenso ha ratificato l'autenticità del racconto e ne ha decretato la pubblica proprietà. Nella leggenda la verità dei fatti sta nella verità del racconto»).
Ce texte, qu’on peut lire sur le site internet du Fr. Emilio, montre un peu le style de ce savant et nous introduit dans le parcours de sa vie de dominicain et de chercheur.
http://www.e-theca.net/emiliopanella/index.html
http://archivio.smn.it/emiliopanella/index.html
Giovanni Panella est né le 5 octobre 1938 à Luco dei Marsi, un village des Abruzzes situé dans celle que l’on appelle aujourd’hui la Piana del Fucino. Sur cette plaine, vestige d’un ancien lac, se montrent à mi-côte une série de bourgs, qui, tels les personnages d’un récit, apparaissent et se cachent au fur et à mesure que l’on contourne la plaine. Ignazio Silone, originaire lui aussi d’un de ces bourgs, dans ses romans décrit avec précision et intensité la vie de cette région: que l’on pense, par exemple, à Fontamara, roman paru en 1934 et qui décerna la réputation de l’écrivain.
La Toscane accueillit ensuite le Fr. Panella: il se forme au petit séminaire des dominicains de la Province Romaine à Arezzo et, ensuite, au couvent d’études de Pistoia, où il est ordonné prêtre en février 1964. De 1964 à 1967, il poursuit sa formation à Rome, à l’Angelicum, où il prépare un premier travail qui joint ensemble l’exégèse médiévale et la théologie morale: La legge della libertà. La libertà cristiana nei commentari di s. Tommaso alle lettere di s. Paolo. Tesi di Lettorato, Fac. di Teologia, Univ. S. Tommaso di Roma, moderatore Jérôme Hamer OP [† dic. 1996], Roma 1965, pp. XII-157.
Pendant cette période romaine il étudie également les sciences islamiques à l’institut des Pères Blancs, en vue de partir travailler comme dominicain au Pakistan, où il demeurera de 1967 à 1971, et d’où il revient avec un Master of Art in Phylosophy, obtenu à l’Université du Punjab, à Lahore.
■ Régis Morelon mi dice che lì, lei ha insegnato filosofia all’Università in lingua Urdu: è vero?
♦ «Più esattamente: Nel 1970-71 insegnai filosofia nel seminario interdiocesano di Karachi; e tomismo ai primi frati domenicani pakistani. Il consolato italiano m’incaricò d’insegnare lingua italiana all’Università di Karachi, la cosa fu concordata per l’anno accademico 1971-72; ma in dicembre 1971 fui espulso dal Pakistan con ufficiale decreto d’espulsione. Il console italiano, su richiesta anche dell’allora arcivescovo di Karachi, chiese spiegazioni al governo pakistano. Mi riferirono oralmente, per via non ufficiale: espulso per pressione di fondamentalisti, i quali non volevano che un prete cristiano insegnasse nell’Università del Pakistan. Essendo in corso la guerra tra India e Pakistan (e a Karachi eravamo sotto le bombe!), il console mi consigliò di lasciare il paese; e le cose le avrebbero risolte a guerra cessata! Cosa poi mai realizzata, nonostante che qui in Italia il provinciale romano avesse contattato per la questione il nostro ministero dell’estero Aldo MORO. E allora… qui restai!».
♦ Altra versione, tra le mie ricordanze: al consolato italiano di Karachi un impiegato mi disse: Qui a Karachi v'è una coppia, lui pakistano d'alto rango, lei italiana; hanno fatto richiesta e pressioni perché sia la signora italiana a insegnare lingua italiana all’Università di Karachi!
De 1972 à 1987 il demeure au couvent de Pistoia, où il enseigne dans le Studium, mais il mène aussi une activité culturelle dans le domaine de la relation entre «foi et société». Il collabore intensément à la revue «Vita sociale» et à la nouvelle série de «Memorie Domenicane», qui venait d’être lancée en 1970. Pendant les années 1970, le Fr. Emilio publie plusieurs travaux sur l’Islam, sur la mission de l’Ordre dominicain et sur celle de l’Église dans le monde contemporain. Il donne des cours à Rome, à l’Institut d’études Arabes, et à Milan, à l’Institut Pontifical des Missions Étrangères. Mais il n’abandonne pas le moyen âge. En 1974 il obtient le doctorat en théologie, avec une thèse qui est un prolongement de son lectorat, obtenu neuf ans plus tôt. La première partie de cette thèse sera publiée dans MD en 1975, avec le titre: La “Lex nova” tra storia ed ermeneutica. Le occasioni dell’esegesi di s. Tommaso d’Aquino. Je signale une autre étude qui date de 1976: «Generi [denrées] alimentari e prezzi a Firenze tra 1295 e 1308, dalle fonti notarili coeve» et qui, par la période étudiée, 1295-1308, montre que le Fr. Emilio commençait à travailler sur Remigio de’ Girolami. C’est en effet en 1979 qu’il soutient une thèse de philosophie à l’Université de Florence dont les contenus seront publiés cette même année dans MD, avec le titre: Per lo studio di fra’ Remigio de’ Girolami (1319). Contra falsos ecclesie professores cc. 5-37 (avec publication de douze autres chapitres en appendice).
Je retiens un moment votre attention sur cette publication pour relever la méthode historique du P. Panella, mais aussi de l’équipe de Memorie Domenicane, qui lançait, avec ce volume, la célébration du septième centenaire de la Basilique de Santa Maria Novella, de Florence. Dans la Présentation du volume, le regretté P. Armando Felice Verde, décédé il y a dix jours (23 nov. 2010) écrivait: «Fundata le 18 octobre 1279, l’église des dominicains de Florence a parcouru ensemble à toute la ville sept siècle de vie, par lesquels elle n’a pas été ruinée. Ainsi, les célébrations centenaires n’ont pas la signification/le but d’évoquer un passé disparu, mais veulent permettre d’identifier les processus à travers lesquels s’est formé le présent (Fondata il 18 ottobre 1279, la chiesa...)».
Cette conception de «faire histoire» est caractéristique du Collège de direction de la revue «Memorie domenicane», auquel convient également cette façon austère, mais aussi cohérente avec l’idéal de vie dominicaine, de célébrer le centenaire de Santa Maria Novella, en commençant par mettre en valeur le rôle d’un florentin, Remigio de’ Girolami, jusqu’à ce moment-là étudié plus comme auditeur de Thomas d’Aquin et représentant de la première école thomiste, ou bien comme maître de Dante, que pour ses doctrines plus personnelles.
Mais il faut immédiatement remarquer que c’est en cette même année que le Prof. Ruedi Imbach publie dans l’Archivum Fratrum Praedicatorum une étude sur Rémi de Florence, consacrée aux questions disputée par le Lector du couvent de S. Maria Novella. Cette étude est suivie de l’édition de la Tabula quaestionum. Mais il est opportun que ce soit le Prof. Imbach à nous parler de Rémi et des études que le P. Panella lui a consacrée, plutôt que moi-même.
En restant dans le domaine des observations historico-critiques, je voudrais attirer votre attention sur deux autres faits. D’une part, la conscience, explicitement affirmée par le Fr. Emilio dans son Avant-propos au volume de 1979, Per lo studio di Fra Remigio de’Girolami, que la période pendant laquelle vit ce frère florentin couvre un arc temporel qui comporte des transformations politiques profondes en Italie. Et si l’on restreint l’horizon de notre regard sur la vie civique de la république florentine, on a la sensation qu’un même arc temporel concentre en lui une accélération frénétique de temps et de transformations. Or, fait remarquer le P. Panella, pendant cette période, on peut documenter une participation prolongée ainsi que des intervention ponctuelles de Remigio de’ Girolami dans ces événements (p. 12). [Le rôle de Remigio dans la vie culturelle et doctrinale du Studium de Florence et de celui de Pérouse, ainsi que sa participation à la vie institutionelle et législative de l’Ordre, ...p. 13].
Le second aspect concerne l’élaboration personnelle de certaines doctrines. Ce n’est pas par hasard qu’Emilio Panella choisit de publier dans ce volume les chapitres 5-37 du Contra falsos ecclesie professores: en effet, il s’agit des chapitres qui sont consacrés à la relation entre le pouvoir du Pape et celui de la principauté séculière. Or, sur ce point, le frère Remigio a son originalité propre, qui méritait d’être étudiée par elle-même. Le Prof. Ruedi Imbach l’avait lui-même remarqué dans sont travail publié cette même année 1979 et il nous le montrera sous peu.
Le P. Panella, en présentant le second tome consacré au septième centenaire de S. Maria Novella (le numéro de "Memorie Domenicane" de 1980), traduit des extraits d’un sermon de Remigio destiné à obtenir que le conseil de la ville donne l’argent pour terminer la construction de l’église de S. Maria Novella. Ce sermon montrent à quel point ce lecteur conventuel pénètre la vie de la République. S’il fait l’éloge du florin d’or, c’est pour inciter les auditeurs à rejeter l’avarice et se soucier du bien commun: «Le citoyen, il dit, aime la cité plus que soi-même, car dans la cité la vertu intellectuelle, morale et théologique, dépasse celle de l’homme solitaire». Ensuite, Remigio fait une sorte de topographie des sciences enseignées dans le couvent, en comparant la grammaire à une petite ruelle qui conduit à la logique, une vraie rue; les sciences naturelles sont comparée à la grande salle du palais; la morale au cloitre conventuel alors que la métaphysique est comparée à la place de la cité; enfin, la théologie est comparée au grand champs, lieux de foire et des plus grandes réunions à l’intérieur de la cité. Cette topographie, comme le fait remarquer le P. Panella, indique bien les convergences entre la cité et le couvent. Rémi obtient du gouvernement une subvention pour la construction de l’église. Mais sans servitude. Il critique à la fois l’administration qui lui avait nié la subvention ainsi que les défauts de l’administration suivante qui la lui avait accordée.
Je laisse de côté les autres travaux du Fr. Emilio sur Rémi de Florence pour parler de son grand travail d’historien, mené à Rome, de 1987 à 1995, comme Archiviste général de l’Ordre et Archiviste de la Province Romaine (dont je fus le disciple, en tant qu’adjoint, pendant trois ans!).
Pour cette période j’évite de distinguer entre travaux importants et travaux moins-importants: même une petite note de quelques pages peut être de grande importance. Mais, pour cette période, il faut cependant distinguer entre un travail monumental, le tome IV de Scriptores Ordinis Praedicatorum Medii Aevi et d’autres travaux. Commencé par le P. Kaeppeli, cet ouvrage en quatre tome, est une recension de toutes les œuvres connues d’auteurs dominicains morts avant 1500 (font exception Albert le Grand et Thomas d’Aquin, pour qui existent déjà d’autres répertoires). Après une notice bio-bibliographique, sont recensés les ouvrages, leurs témoins manuscrits et leurs éditions. Le tome IV, que le P. Kaeppeli avait commencé, aidé, à la fin de sa vie, par le P. Creytens, a été rédigé en vérité par le P. Panella et il comporte trois parties: un complément aux trois premiers tomes, allant jusqu’à la lettre S; le t. IV, couvrant les lettres T-Z; l’Index des auteur et des incipit des 4089 titres énumérés. Sur le site du Fr. Emilio on peut suivre les vicissitudes matérielles que ce travail a demandé (récupération de la documentation laissée par les PP. Kaeppeli et Creytens, classement des documents, établissement de la manière de compléter les notices déjà publiées). Mais il me serait difficile de vous donner ici une idée du travail que la révision, la rectification et le complètement des notices déjà parues doit avoir comporté, ainsi que la rédaction des notices de T à Z et des Indices. L'adjectif «monumental» rend bien l’idée du travail.
Avant de conclure, je voudrais insister d’une part sur l’importance des domaines historiques que le P. Panella a voulu illustrer; de l’autre sur la façon dont il les a travaillé. Et ces observations ne concernent pas seulement les travaux de la dernière période romaine, mais l’ensemble de sa production.
Les domaines sur lesquels le Fr. Emilio a concentré ses études sont certes des personnages (G. de Moerbeke, Riccoldo da Montedicroce, Iacopo di Ranuccio, Ubaldo da Lucca et les spirituels dominicains; mais pensons aussi aux inconnus que homonymie aurait pu facilement faire disparaître et que le P. Panella a ressuscités); il identifie des lieux géographiques, des objets et leurs usages; des mesures; il étudie les témoins, des manuscrits aux fresques; mais il se concentre surtout sur l’histoire des institutions: le fonctionnement des Croniques conventuelles (Quel che la cronaca conventuale non dice. Santa Maria Novella 1280-1330, dans MD de 1987) mais il avait déjà étudié la Cronique de Pise et il étudiera celle de Viterbe, de Péruse; le fonctionnement des Obituaires et du Liber recordationum, un autre instrument qui a accompagné plusieurs siècle de la vie du couvent de Santa Maria Novella. Pensons à son travail sur le Lector romanae curiae; ou sur un Vademecum des Provinciaux de la Province Romaine des Dominicains, très cité, mais peu étudié, dont le Fr. Emilio a reconstitué l’usage. Pensons encore aux travaux sur le fonctionnement des Studia et sur l’enseignement donné dans les couvents par les lecteurs.
À propos de la méthode de travailler, je dirais qu’elle est arborescente. En étudiant un personnage, un lieux, un sujet, le P. Panella développe comme une toile de recherches, qu’il lien ensuite ensemble. Ce n’est pas surprenant qu’il ait abouti sur la toile (internet), où nous trouvons tous ses travaux, souvent mis à jours par des liens, ou par des nouvelles notes. Il me suffirait de citer l’exemple de ses travaux sur les Studia ou sur l’enseignement dans les couvent: on trouve des données très précieuses dans plusieurs articles consacrés à des personnages différents (Thomas d’Aquin, Iacopo di Ranuccio da Castelbuono, Francesco da Prato) ou à des objets (Un Vademecum).
Dans l’introduction au colloque sur Francesco da Prato, organisé par Fabrizio Amerini, le P. Panella, apporte une contribution à mon avis capitale à la compréhension de la citation du Convivio (II, XII, 1-7) où Dante parle des «le scuole de li religiosi e a le disputazioni de li filosofanti» et cela à partir d’une exégèse serrée des textes aussi que du fonctionnement de l’enseignement dans les «scuole de li religiosi» ainsi que de la façon dont les disputes étaient réglementées.
Nous somme ici devant des travaux qui ont vraiment changé la perception de la vie intellectuelle, conventuelle, économique, tant d’institutions ou de villes médiévales comme de personnage de cette période.
À la fin du parcours que je viens de vous proposer, dans les écrits mais aussi, idéalement, dans les différents lieux où le Fr. Emilio les a élaborés, j’éprouve certes un sentiment de profonde gratitude pour le Fr. Emilio, et je trouve que ses travaux sont éblouissants.
… j’éprouve un sentiment de profonde gratitude et un grand éblouissement!
Adriano
Oliva OP,
Paris, 4 décembre 2010